Introduction
La notion d’intercompréhension est une notion très peu connue, cantonnée à un petit cercle d’universitaire et de technocrates européens malgré les tentatives pour en populariser les thèmes. A l’exemple de l’esperanto, l’intercompréhension cherche à éviter la suprématie d’une langue ou de plusieurs langues sur les autres. L’anglais est bien sûr le premier visé par l’intercompréhension. Malgré l’appui des institutions européennes, qui souhaitent, mené par des représentants français, parer à la suprématie de l’anglais, l’intercompréhension reste incapable de sortir d’un cercle étroit d’initiés. Plusieurs raisons à cela, que nous allons passer en revue.
Le contexte international
A l’heure où le soft power des Etats-Unies reste inégalé, se détacher de la fascination envers l’anglais est un voeux pieux. En acquérant une place inégalé comme référent culturel, les Etats-Unis sont devenus le centre de l’attention de la population européenne. La plupart des Etats rêvent d’un développement à l’américaine, faite de consommation de masse, de règne de l’automobile, de bien-être et de réalisation de soi. Les pays de la nouvelle Europe sont sans doute les plus ardents sur cette voie.
La jeunesse est toute particulièrement touchée par ce phénomène. Elle se voit mal renoncer à l’american dream, dont une partie réside dans la cool attitude déployée par les représentants US. Films, musique, références culturelles, l’envahissement de l’anglais dans la culture européenne n’est que le sommet de l’iceberg de l’entrée massive de produits et de l’art de vivre à l’américaine. Faut-il s’en plaindre ? L’incapacité d’une bonne partie des élites européenne à penser le monde de demain et à simplement comprendre sa population explique pour une part l’échec des tentatives de troisième voie ou de voie à l’européenne de développement ou de culture. Si l’Europe est bien riche de sa culture, c’est à l’histoire qu’elle le doit plus qu’à son dynamisme et à son rayonnement actuel.
L’intercompréhension n’est pas une technique nouvelle.
A la racine de l’intercompréhension se trouve aussi un non-dit. Concept pensé par un élite polyglotte et souvent internationale, qui parle couramment l’anglais, on peut être surpris de la redécouverte d’un mode de communication sans doute aussi ancien que le monde. Lorsque les troupes américaines ont rencontré les troupes russes sur l’Oder en 1945, les soldats ont fraternisés sans difficultés, malgré les différences considérables de part et d’autres. Ils maîtrisaient parfaitement la communication dans d’autres langues que la leur puisque pour la plupart d’entre eux, américains ou russes, ils avaient mis le pied sur le continent européen depuis un an. Depuis leur arrivée, ils avaient dû apprendre à communiquer et à se faire comprendre. Ce n’est qu’un exemple très concret d’une technique mise en oeuvre depuis sans doute la nuit des temps.
Le problème, c’est qu’il faut une situation très particulière pour que le mécanisme opère : 1) il faut que vous et votre interlocuteur ne parliez pas la même langue 2) il faut que vous ayez envie de communiquer et 3) Il faut que vous sachiez comment vous y prendre. A moins de partir de votre pays tous les week end, cela n’arrive pas souvent. Bien sûr, en vacance, c’est très utile, mais les touristes estivaux n’ont pas attendu l’invention de l’intercompréhension pour visiter des pays.
Pourquoi alors l’invention du concept
Il a fallut la rencontre de deux logiques. D’une part, la générosité intellectuelle des universitaires, toujours promptes à défendre l’importance du plurilinguisme. Depuis l’intellectuel Steiner expliquant le plus sérieusement du monde qu’il faudrait que chaque enfant parle au moins cinq langues jusqu’à l’invention ex nihilo de l’espéranto, la réflexion autour de l’importance de la langue fait partie du pré carré universitaire.
De l’autre côté, on a trouvé bureaucrates et hommes d’Etat, préoccupés par la place de leur langue sur l’échiquier international. Si la beauté de la langue les touche moins, ils sont en revanche parfaitement conscient de l’importance du partage d’une langue comme support du pouvoir. La création de la Francophonie repose en partie sur la nécessité de structurer des réseaux restés évanescents alors que l’Angleterre disposait du Commonwealth depuis la dissolution de son empire.
Que signifie donc sa création sous la forme d’un concept par l’élite européenne ?En effet, son invention est en partie surprenante. L’élite intellectuelle européenne maîtrise bien la langue anglaise. Elle a parfaitement comprise l’importance de cette langue dans la carrière de ses enfants. Elle finance sans rechigner des cours de langue et des séjours à l’étranger qui sont un véritable business, dont la valeur ne cesse d’augmenter.
Une utilité limité….
Pensé comme une machine de guerre contre l’anglais, et reposant sur une logique humaniste d’égalité entre les langues, l’intercompréhension avoue très vite ses limites malgré une idée de départ très séduisante. D’abord, elle ne dispense pas de l’enseignement de l’anglais puisque l’intercompréhension n’est utilisable que pour des familles de langues. Il faudra donc de toute façon consentir un effort de formation pour la population à l’heure où l’on peut traiter d’affaires commerciales sur un autre continent ou bien partir en voyage à l’autre bout de la planète.
Deuxièmement, elle suppose une bonne volonté de la part des populations appelées à communiquer par ce biais. Or, nous l’avons vu, si les populations ont toujours utilisé ce biais pour communiquer, elle peuvent aussi oublier son intérêt très vite. Elles peuvent choisir de faire disparaître des langues entières. Elles peuvent faire un trait sur toute une part de leur héritage en deux ou trois génération. Prenons l’exemple du gaélique en Irlande. Dès le XIXe siècle, son sort est scellé après la Grande Famine. Elle se meurt malgré le déploiement d’un Etat irlandais en 1921, malgré des cours de langue obligatoire, malgré des documents administratifs en gaélic, malgré un sentiment aigue de l’identité irlandaise. Le gaélic se meurt, et les irlandais s’en portent très bien. A l’aune de cet exemple, qui peut prédire une belle carrière à l’intercompréhension ? Si l’on ne souhaite pas communiquer dans une langue, qui peut vous y forcer ?
…mais un objectif humaniste à promouvoir
Bien entendu, l’intercompréhension est un concept très séduisant et qui se développera sûrement parmi une élite. Tapons « intercompréhension » dans Google. Quel sont les premiers résultats ? Un dossier de la DGLFLF (oui, il n’y a que des consonnes), des livres et des colloques d’universitaires, des sites web mode 1995…et un syndicat réformiste mais très minoritaire, le Sgen-SFDT. C’est dire de la vivacité du concept.
Dans ce cadre, quelle stratégie pour l’intercompréhension? Ouvrages universitaires, colloques, pressions ministériels, appui de la commission européenne sont déàj de jolies cartes dans son jeu. L’avantage d’être promu par une élite est de disposer de réseaux que l’on peut activer avec une efficacité redoutable au sein des organes de décision. Cette première étape étant peu ou prou réalisé, il reste à l’intercompréhension à opérer une mue très difficile : sortir du ghetto et aller au contact de la population. Devenir populaire. Acquérir de la réalité tangible. C’est loin d’être du domaine de l’évidence et il n’est pas du domaine de cette synthèse de trouver des solutions. Une partie est sans doute technique, en proposant un portail web 2.0, des outils de communication, des évènements, bref, en y consacrant des moyens humains et financiers. Il s’agit là de rentrer dans le dépôt des projets, de répondre à des appels d’offres, de trouver des sponsors. Rien de bien difficile. L’erreur classique serait de militer pour l’intercompréhension à l’école primaire ou au collège, ce qui serait assurer à l’intercompréhension de s’enfermer derrière les hauts murs des écoles. Bien plus séduisant serait d’aller frapper à la porte d’entreprises internationales qui font face à des problèmes de communication coûteux. Proposer l’intercompréhension, c’est diminuer les coûts…là réside sans doute l’argument décisif !