La pédagogie est-elle assommante ?

Alors que de nombreuses diciplines ont bénéficié de l’aura d’un intellectuel qui a su populariser ses thèmes, la pédagogie n’a jamais eu d’écho dans le grand public.


A la lecture de brillants ouvrages théoriques de nombreuses sciences humaines, le lecteur est souvent séduit par les découvertes intellectuelles des écrits qu’il parcourt. Grâce à la lecture, elles deviennent les siennes. Il peut découvrir une nouvelle vision du monde par le truchement des écrits de  ces penseurs.  Le style joue un rôle évident dans le succès de cette opération. Les lecteurs se sentent souvent emportés par celui-ci, comme si un échafaudage d’idées complexes étaient rendu possible par la vigueur de l’écriture de l’auteur.
On célèbre beaucoup plus les chercheurs écrivains que les chercheurs abscons. Claude Levi-Strauss était écrivain autant qu’anthropologue. Son écriture semble mettre à la portée du commun des réflexions très théoriques sur les structures familiales. La clarté de l’expression est déterminante pour la diffusion d’un livre de reflexion. Le succès de Michel Onfray, voire de BHL, repose en grande partie  pour leur manière d’écrire, parfaitement lisible sans ayant fait un doctorat de philosophie.
La figure de l’intellectuel français est encore bien présente bien que moins puissante qu’elle n’a été. Souvent issus du même moule (Paris, ENS, Sc Po, cours avec les grands maîtres, bouleversements intellectuels,  etc.), leurs écrits sont souvent proches. La vague de diffusion du savoir universitaire dans la société à partir des années 60 et surtout lors des années 70 a permis de populariser de nombreuses sciences. Certaines d’entre elles en ont largement profité (l’histoire, la philosophie, l’anthropologie, etc.) avant de souffrir d’une certaine désaffection du public mais en restant malgré tout présentes dans l’espace public.
Concernant les sciences de l’éducation, qu’en est-il ? Y a t il eu un big bang conceptuel qui a l’amené sous les feux des projecteurs ? Y a t il une figure de proue, un intellectuel classique et parternel qui permet une affiliation fervente ?
La pédagogie a bien subit un big bang théorique en 1956 avec la publication de la taxonomie de Bloom qui suppose une hiérarchie de comportements essentiellement cognitifs,de plus en plus facteurs d’apprentissage au fur et à mesure que l’on place l’apprenant dans des situations complexes. Ces théories auront un grand écho, y compris en France. Elles ont contribuées à l’entreprise de rénovation pédagogique des pratiques éducatives en cours dans l’Education Nationale. Assez étrangement, il n’y a pas eu à la suite de cet écrit d’émergence d’ouvrages phares en matière de pédagogie.
Il n’y a pas eu parution en France d’un ouvrage brillant, qui bouleverse par l’audace de ses thèses ou par la qualité de sa synthèse. Il n’y a rien eu de détonnant. Aucun livre n’a marqué le sujet. Les parutions régulières sont d’ailleurs de mauvaise qualité. Elles sont souvent mal écrites, insipides intellectuellement, auto-référencées. Elles souffrent d’un jargon inutile. (« Qu’est ce qu’un objet d’apprentissage? ») Les meilleurs livres sont sans doute anglo-saxons. Il vaut mieux les lire que de plonger dans des écrits en langue française, souvent dépassés vis à vis du dynamisme de ce champ de recherche à l’étranger.
La raison tient sans doute au fait que ceux qui s’intéresse à la pédagogie sont des seconds couteaux du paysage intellectuel français. Les professeurs d’université sont clairement en retrait vis à vis de la pédagogie. Les rares professeurs qui s’y engage sont rarement les plus brillants. Aucuns intellectuel français de renom ne s’est jamais emparé du sujet. Ce contast est sans doute du au fait que la  couche intellectuelle française méprise la pédagogie. L’illumination, parfois quasi religieuse, provient de la proximité avec un maître par la lecture ou par le suivi de ces cours, de préférence à la Sorbonne, au Collège de France ou à l’ENS. Avec ce modèle en tête, il était difficile d’être séduit par les idées nouvelles de la pédagogie.
Bien sûr des noms apparaissent, liés à la pédagogie et bien connus du grand public comme Françoise Doldot ou François Dubet. Mais ceux-ci ne sont pas des pédagogues. Ce sont des psychanalystes ou des sociologues, amenés à se pencher sur cette science de par leurs activités. Les rares professeurs d’universités qui s’intéressent à la pédagogie  sont souvent très maladroits. S’ils produisent des écrits sur la pédagogie, ils sont souvent complétement déconnectés des réalités du terrain. Leurs réflexions ne sont que très rarement applicables. Il arrive même qu’ils n’appliquent pas leurs propres prédicats à leurs cours ! D’ou une décrédibilisation de ce champ.
L’absence de support par la couche intellectuelle française n’a pas été compensée par une ferveur populaire en faveur de la pédagogie. La couche supérieur n’a que faire de ces concepts. La reproduction est assurée par le travail personnel et surtout par la culture familiale. La couche moyenne est la plus sensible, mais sa demande de pédagogie se concentre sur l’école primaire. Quand à la couche populaire, elle est en faveur d’un apprentissage par l’exemple pratique, et non pas d’une science théorique et jargoneuse, bourrée d’acronymes.
Les troupes en faveur de la pédagogie sont peu nombreuses. Les jeunes turcs de la pédagogie sont clairement absents à l’Université, temple du Savoir mais pas des Etudiants. Les professeurs de l’éducation nationale sont recrutés sur leurs compétences académiques, pas sur leur capacité à transmettre un savoir. Le seul secteur où l’on peut admettre que la pédagogie est en marche est l’école primaire. La formation est plus professionnalisée et sans doute moins engoncée dans les préceptes théoriques de la pédagogie. Mais passé les portes du collège, les notions clés de la  pédagogie sont déjà mises à mal.
Le résultat de cette absence de visibilité, d’un jargon théorique, d’une absence d’un ouvrage clé, de combativité, de quelques slogans bien placés, bref sans doute de l’absence d’une figure de proue enmenant à sa suite toute une génération de réflexions a fait que la pédagogie n’est qu’une science de troisième rangs, ne séduisant personne parmis l’élite intellectuelle française. Le phénomène est auto-entretenu. Sans intellectuels brillants, la pédagogie à la française se perd dans des réflexions stériles ou dans l’observation béate des dernières innovations des universités américaines.

Il faudrait sans doute une nouvelle école, un coup de théatre propre à bouleverser cette situation absurde. Ce coup de théâtre, c’est une vague qui gronde dans l’arrière plan. C’est la révolution numérique qui vient. Ce sont les digital natives, qui ne croient plus en rien mais qui veulent être séduits.

Armés de leurs téléphones portables comme petit livre rouge et de leurs ordinateurs portables comme des nouvelles bibles imprimées, ils viennent non pas convertir mais tout simplement transformer la société postmoderne en société numérique. La pédagogie dans ce moment à un rôle à jouer en relégitimant les savoirs en s’appuyant sur le numérique. Travail collaboratif, elearning, mobile(s),ce sont les clés de demain. Il nous appartient de nous en emparer !

Récit d’une expérimentation : l’utilisation des SMS en formation

Lorsque l’on m’a proposé d’intervenir sur le thème de la recherche à l’Université devant un public composé de 150 militants de la Confédération Etudiante, un syndicat étudiant proche de la CFDT, j’ai proposé un dispositif innovant de formation.

La formation devait durer plus d’une heure. Elle devait avoir lieu dans un amphithéâtre en fin de journée, après un après-midi conséquent de travail en congrès. Passer juste avant la fin des travaux est risqué : le public est fatigué et n’est plus capable de se concentrer efficacement. De plus, le sujet est complexe a appréhender.

Afin d’éviter de réaliser une formation d’une heure sans impacter aux mieux mes apprenants, j’ai décidé de mettre en place un dispositif innovant, reposant sur l’utilisation des textos durant la formation en direct live. Le dispositif ne met pas plus de quelques minutes à être mis en place. Un assistant se charge de recueillir les textos sur son téléphone portable personnel, dont le numéro a été indiqué à la salle. Le public peut envoyer des textos depuis leurs téléphones personnels. Ce type d’expérimentation a déjà été effectué aux Etats-Unies dans les universités américaines et a donner de bons résultats.

Le bilan fut au delà de nos espoirs : plus de 60 textos sont envoyés en une heure, un par minute ! A peu près un tiers du public a réagit, compte tenu du fait que certains ont envoyé plusieurs textos. Les messages sont de qualité et j’ai été interrompu très régulièrement par l’assistant qui transmettait les messages. Ces derniers ont été de plusieurs ordres : questions, demande d’éclaircissements, réflexions personnelles ou point de vue à joindre au débat et questions techniques. Les textos ont permis de garder le contact avec la salle et de favoriser un dialogue constant. Les questions posées ont permis à des personnes qui ne seraient pas intervenu dans un contexte normal de participer au débat. Elles ont aussi été l’occasion d’affiner la compréhension du pourquoi de la formation et de répondre à des besoins plus précis.

Répondre à ce workflow demande une bonne organisation :

Non, c'est quand même pas la peine d'être aussi nombreux. Un seul assistant suffit !

1) L’assistant doit être réactif : il doit juger de la pertinence des messages reçus et poser le cas échéant une question à l’intervenant, sans craindre de l’interrompre. Il ne doit pas en revanche poser des questions qui anticipe sur la pensée de l’intervenant.

2) L’assistant ne doit pas hésiter à rendre compte à la salle des messages, et éclaircir certains points techniques à la place de l’intervenant. Il peut notamment indiquer que certains messages trouveront une réponse un peu plus tard. Il devient lui aussi acteur de la formation.

3) L’intervenant doit s’adapter à être très régulièrement interrompu. Il doit être capable de répondre de manière synthétique et brève. Il doit pouvoir reprendre ensuite le fil de son intervention.

4) Le public doit être prêt à utiliser son téléphone personnel pour envoyer des messages. Un public de digital natives, très habitué à l’usage du mobile, est  bien plus réceptif qu’un public moins à l’aise ou moins équipé. Le dispositif n’est pas applicable dans toutes les situations.

5) Un bilan doit être établi à la fin de l’intervention : nombre de messages, qualité, teneur, etc. Ceci afin de faire prendre conscience au public de l’importance de « l’intelligence collective », peut développée en France.

En conclusion, ce dispositif expérimental a été validé par un cas pratique. Des améliorations sont d’ores et déjà réalisables, à un coût nul. Le portail Orange permet notamment de publier sur le compte utilisateur les textos reçus, sur un mode de diffusion proche de Twitter. Il suffit donc une connexion internet et un rétroprojecteur pour donner à vos formations un espace de réaction en direct live.

Le elearning doit s’inspirer du marketing et du design

La faute originelle du elearning vient du fait que ce sont des ingénieurs qui l’ont « inventé ».
Né aux Etats-Unis, le elearning a été d’abord un jouet technologique qui nécessitait-et même encore de nos jours- des compétences informatiques fortes. Les premières start-up qui se sont montés ont embauché des ingénieurs informatiques, puis des ingénieurs pédagogues et des linguistes pour garantir la qualité des cours et mettre en place des scénarios pédagogiques que des informaticiens ne pouvaient réaliser.

Ce premier élan, sur lequel nous sommes toujours, a permis de proposer une offre informatique de qualité structurée autour de deux axes principaux : les plates formes et les contenus, réalisé grâce à des logiciels dédiés ou des logiciels rapid learning. Les ingénieurs pédagogues ont inventés de nouvelles approches, et innovent, ou plutot suivent les tendances, constamment. La réflexion autour de l’apport de Twitter et des réseaux sociaux montre bien la capacité des acteurs du elearning à se saisir des nouvelles tendances et à en retirer le meilleur.

En revanche, le virage du graphisme et du design est encore insuffisamment pris. Bien sûr, les équipes elearning se dont dotés de graphistes qui ont été chargés de réaliser le packaging des contenus. Bien sûr, la réflexion graphique n’est pas absente, notamment lors de la création de serious game. Mais au final, le graphisme est perçu comme un emballage, comme le parent pauvre du elearning. A l’informatique le support, à la pédagogie le contenu, et au graphisme le packaging.

La relation aurait pu être équilibrée, mais ce n’est pas le cas. Les informaticiens et les pédagogues n’ont pas une formation en graphisme. Les codes du elearning et de la communication d’entreprise sont déjà solidement établis et la remise en cause n’est pas évidente.

Pourtant le graphisme et le marketing ont beaucoup de chose à nous apprendre. Alors que le elearning ressemble parfois beaucoup à la publicité des années 50 (une mascotte rassurante mais enfantine, des personnages de lessive de ménagères, des couleurs de fanions de boy-scouts, et des phrases que l’on dirait sorti de livres d’ados), le marketing et le graphisme sont allé explorer beaucoup, beaucoup plus loin. Création d’une identité de marque, marketing virale, dialogue de marque, révolution du design sur Internet avec l’apparition d’un graphisme type « Ikea », les deux grands frères du elearning sont en train d’effectuer leur révolution numérique.

Les agences d’elearning peuvent répliquer que réaliser des contenus luxueux coûtent cher. Que les clients ont des budgets toujours au plus juste, et négocie parfois âprement les prix. Ils ont raisons, les budgets formation n’ont pas l’importance stratégique que peut avoir la communication. Encore le marketing se plaint-il souvent d’être le parent pauvre de l’entreprise mais passons. Ces arguments sont désormais dépassés. Il est possible de réaliser des contenus avec une qualité graphique très supérieur si l’on met en place des règles de base simples.

1) Etre à jour des dernières tendances graphiques. il y a une mode des formes, une mode des couleurs, une mode des traits, une mode de la typographie. Il faut savoir identifier les axes clés et les réutiliser dans les contenus elearning. Vous pensez qu’un bouton carré, ca suffit ? vous avez tort. La mode, ce sont les formes courbes. Courbes et pas rondes, attention, la différence est essentielle.

2) Oser les couleurs. La couleur en elearning, c’est un gros problème. Le monde serait plus simple en noir et blanc. Pédagogues et informaticiens, sont beaucoup plus à l’aise en noir et blanc. Les premiers ont travaillé sur des feuillets toute leurs études, les seconds sont devant des lignes de codes où les couleurs sont… peu nombreuses. Il faut être plus innovant, utiliser des nuanciers, s’inspirer des derniers sites d’internet.

3) Abandonner la communication candy. Vos interlocuteurs sont des adultes, ils sont mariés, ont des enfants. Ils ont eu des problèmes, parfois très graves. Ils ont souffert, parfois même beaucoup. Quand vous faites une formation qui pourrait être insérée dans Pocahontas de Disney tellement vous êtes mielleux, vous loupez votre cible. Dans Avatar, le tout dernier blockbuster d’Holywood, le héros est handicapé. Son frère est mort. Il a peur de perdre sa compagne, il se met en colère, il est parfois même violent. Le film a fait plus d’un milliard de dollars.

4) Faire peu coûteux et convaincre. Inutile de proposer des animations Flash dans tous les sens si cela ne rentre pas dans le budget formation. Ce sera refusé. Restons simple. Il faut travailler les détails, travailler la qualité d’éléments simples. Le graphisme, ce n’est pas forcément complexe, ni coûteux. Vous trouvez qu’Ikea coûte cher ? Et en plus ils ont convaincu toute la société occidentale d’abandonner les meubles de leurs grands-parents. Ca n’a l’air de rien, mais c’est une petite révolution.

5) Ne soyez pas révolutionnaire. Dans le monde du elearning, il faut être innovant, mais pas trop. Sachez tenir compte des résistances, des a priori. Prenez votre temps. Eduquez vos collègues, construisez un projet sur le long terme. Discutez, remettez en cause, faites des propositions et surtout négociez. En prenant vos précautions, vous avez de bonnes chances d’arriver à vos fins.

L’intercompréhension est-elle seulement pour les universitaires et les technocrates ?

Introduction

La notion d’intercompréhension est une notion très peu connue, cantonnée à un petit cercle d’universitaire et de technocrates européens malgré les tentatives pour en populariser les thèmes. A l’exemple de l’esperanto, l’intercompréhension cherche à éviter la suprématie d’une langue ou de plusieurs langues sur les autres. L’anglais est bien sûr le premier visé par l’intercompréhension. Malgré l’appui des institutions européennes, qui souhaitent, mené par des représentants français, parer à la suprématie de l’anglais, l’intercompréhension reste incapable de sortir d’un cercle étroit d’initiés. Plusieurs raisons à cela, que nous allons passer en revue.

Le contexte international

A l’heure où le soft power des Etats-Unies reste inégalé, se détacher de la fascination envers l’anglais est un voeux pieux. En acquérant une place inégalé comme référent culturel, les Etats-Unis sont devenus le centre de l’attention de la population européenne. La plupart des Etats rêvent d’un développement à l’américaine, faite de consommation de masse, de règne de l’automobile, de bien-être et de réalisation de soi. Les pays de la nouvelle Europe sont sans doute les plus ardents sur cette voie.

La jeunesse est toute particulièrement touchée par ce phénomène. Elle se voit mal renoncer à l’american dream, dont une partie réside dans la cool attitude déployée par les représentants US. Films, musique, références culturelles, l’envahissement de l’anglais dans la culture européenne n’est que le sommet de l’iceberg de l’entrée massive de produits et de l’art de vivre à l’américaine. Faut-il s’en plaindre ? L’incapacité d’une bonne partie des élites européenne à penser le monde de demain et à simplement comprendre sa population explique pour une part l’échec des tentatives de troisième voie ou de voie à l’européenne de développement ou de culture. Si l’Europe est bien riche de sa culture, c’est à l’histoire qu’elle le doit plus qu’à son dynamisme et à son rayonnement actuel.

L’intercompréhension n’est pas une technique nouvelle.

A la racine de l’intercompréhension se trouve aussi un non-dit. Concept pensé par un élite polyglotte et souvent internationale, qui parle couramment l’anglais, on peut être surpris de la redécouverte d’un mode de communication sans doute aussi ancien que le monde. Lorsque les troupes américaines ont rencontré les troupes russes sur l’Oder en 1945, les soldats ont fraternisés sans difficultés, malgré les différences considérables de part et d’autres. Ils maîtrisaient parfaitement la communication dans d’autres langues que la leur puisque pour la plupart d’entre eux, américains ou russes, ils avaient mis le pied sur le continent européen depuis un an. Depuis leur arrivée, ils avaient dû apprendre à communiquer et à se faire comprendre. Ce n’est qu’un exemple très concret d’une technique mise en oeuvre depuis sans doute la nuit des temps.

Le problème, c’est qu’il faut une situation très particulière pour que le mécanisme opère : 1) il faut que vous et votre interlocuteur ne parliez pas la même langue 2) il faut que vous ayez envie de communiquer et 3) Il faut que vous sachiez comment vous y prendre. A moins de partir de votre pays tous les week end, cela n’arrive pas souvent. Bien sûr, en vacance, c’est très utile, mais les touristes estivaux n’ont pas attendu l’invention de l’intercompréhension pour visiter des pays.

Pourquoi alors l’invention du concept

Il a fallut la rencontre de deux logiques. D’une part, la générosité intellectuelle des universitaires, toujours promptes à défendre l’importance du plurilinguisme. Depuis l’intellectuel Steiner expliquant le plus sérieusement du monde qu’il faudrait que chaque enfant parle au moins cinq langues jusqu’à l’invention ex nihilo de l’espéranto, la réflexion autour de l’importance de la langue fait partie du pré carré universitaire.

De l’autre côté, on a trouvé bureaucrates et hommes d’Etat, préoccupés par la place de leur langue sur l’échiquier international. Si la beauté de la langue les touche moins, ils sont en revanche parfaitement conscient de l’importance du partage d’une langue comme support du pouvoir. La création de la Francophonie repose en partie sur la nécessité de structurer des réseaux restés évanescents alors que l’Angleterre disposait du Commonwealth depuis la dissolution de son empire.

Que signifie donc sa création sous la forme d’un concept par l’élite européenne ?En effet, son invention est en partie surprenante. L’élite intellectuelle européenne maîtrise bien la langue anglaise. Elle a parfaitement comprise l’importance de cette langue dans la carrière de ses enfants. Elle finance sans rechigner des cours de langue et des séjours à l’étranger qui sont un véritable business, dont la valeur ne cesse d’augmenter.

Une utilité limité….

Pensé comme une machine de guerre contre l’anglais, et reposant sur une logique humaniste d’égalité entre les langues, l’intercompréhension avoue très vite ses limites malgré une idée de départ très séduisante. D’abord, elle ne dispense pas de l’enseignement de l’anglais puisque l’intercompréhension n’est utilisable que pour des familles de langues. Il faudra donc de toute façon consentir un effort de formation pour la population à l’heure où l’on peut traiter d’affaires commerciales sur un autre continent ou bien partir en voyage à l’autre bout de la planète.

Deuxièmement, elle suppose une bonne volonté de la part des populations appelées à communiquer par ce biais. Or, nous l’avons vu, si les populations ont toujours utilisé ce biais pour communiquer, elle peuvent aussi oublier son intérêt très vite. Elles peuvent choisir de faire disparaître des langues entières. Elles peuvent faire un trait sur toute une part de leur héritage en deux ou trois génération. Prenons l’exemple du gaélique en Irlande. Dès le XIXe siècle, son sort est scellé après la Grande Famine. Elle se meurt malgré le déploiement d’un Etat irlandais en 1921, malgré des cours de langue obligatoire, malgré des documents administratifs en gaélic, malgré un sentiment aigue de l’identité irlandaise. Le gaélic se meurt, et les irlandais s’en portent très bien. A l’aune de cet exemple, qui peut prédire une belle carrière à l’intercompréhension ? Si l’on ne souhaite pas communiquer dans une langue, qui peut vous y forcer ?

…mais un objectif humaniste à promouvoir

Bien entendu, l’intercompréhension est un concept très séduisant et qui se développera sûrement parmi une élite. Tapons « intercompréhension » dans Google. Quel sont les premiers résultats ? Un dossier de la DGLFLF (oui, il n’y a que des consonnes), des livres et des colloques d’universitaires, des sites web mode 1995…et un syndicat réformiste mais très minoritaire, le Sgen-SFDT. C’est dire de la vivacité du concept.

Dans ce cadre, quelle stratégie pour l’intercompréhension? Ouvrages universitaires, colloques, pressions ministériels, appui de la commission européenne sont déàj de jolies cartes dans son jeu. L’avantage d’être promu par une élite est de disposer de réseaux que l’on peut activer avec une efficacité redoutable au sein des organes de décision. Cette première étape étant peu ou prou réalisé, il reste à l’intercompréhension à opérer une mue très difficile : sortir du ghetto et aller au contact de la population. Devenir populaire. Acquérir de la réalité tangible. C’est loin d’être du domaine de l’évidence et il n’est pas du domaine de cette synthèse de trouver des solutions. Une partie est sans doute technique, en proposant un portail web 2.0, des outils de communication, des évènements, bref, en y consacrant des moyens humains et financiers. Il s’agit là de rentrer dans le dépôt des projets, de répondre à des appels d’offres, de trouver des sponsors. Rien de bien difficile. L’erreur classique serait de militer pour l’intercompréhension à l’école primaire ou au collège, ce qui serait assurer à l’intercompréhension de s’enfermer derrière les hauts murs des écoles. Bien plus séduisant serait d’aller frapper à la porte d’entreprises internationales qui font face à des problèmes de communication coûteux. Proposer l’intercompréhension, c’est diminuer les coûts…là réside sans doute l’argument décisif !